« Est complexe ce qui ne peut se résumer en un maître mot, ce qui ne peut se ramener à une loi, ce qui ne peut se réduire à une idée simple. »
Edgar Morin
Nous voilà aujourd’hui tous habitués à négocier avec des situations compliquées, comme avec des objets compliqués. Smartphones, ordinateurs, domotique – hier reconnaissance vocale, aujourd’hui reconnaissance faciale… Nous avons appris à apprivoiser toutes les nouvelles technologies implantées dans notre quotidien (bientôt dans notre corps), jusqu’à réorganiser notre façon de nous déplacer, de travailler, de nous divertir… et plus profondément encore, de penser.
La technicisation du monde au cours des deux derniers siècles (mécanique, hydraulique, physique, aéronautique, biotechnologique, robotique…) se resserre désormais autour du champ de l’information et de la communication. Et la convergence de l’informatique, de l’Internet et des télécommunications transforme profondément le champ de la diffusion du savoir et de la connaissance. À ce titre, Edgar Morin nous prévient : « L’information n’est rien sans son organisation qui permet seule la connaissance ».
C’est ainsi qu’à l’heure de la nouvelle économie des start-ups et de la « révolution numérique », la question de la communicabilité du savoir et des expertises se pose. Nous l’aborderons ici sous l’angle des « métiers complexes », l’un des domaines de prédilection de notre studio de conseil en communication.
Métiers complexes et expertise : de quoi parle-t-on ?
Les métiers complexes sont caractérisés par les expertises qui les qualifient d’une part, et par les liens qu’ils entretiennent avec des enjeux de société d’autre part.
Appliquée à l’énergie, au transport, à la construction, à la biologie – aujourd’hui aux « technosciences » plus généralement –, cette définition nous invite à différencier un savoir-faire technique compliqué, à priori transmissible (celui d’un artisan par exemple), d’un savoir-faire technique complexe, par définition imbriqué dans une multitude de critères et de contraintes (sociaux, environnementaux, économiques) qui en rendent la compréhension, et donc la transmission, particulièrement ardues.
Que dire alors de la communicabilité des métiers s’ils tendent à toujours plus de complexité ? Et comment ne pas dévoyer le sens tout en se faisant une place dans le bruit médiatique ambiant promu par les nouvelles technologies de l’information et de la communication ?
Pour mieux comprendre cette évolution, partons de l’analyse de Jean Brichaux, selon laquelle le « compliqué » n’est pas encore tout à fait le « complexe ».
Le psychologue clinicien prend pour exemple l’Airbus A380, « un objet globalement compliqué mais dont on peut réduire la difficulté de compréhension en l’étudiant sous l’angle des différentes parties qui le composent. » Ainsi, nous serions à même de comprendre ce que nous pouvons décortiquer en suffisamment de morceaux clairement définissables, afin de parvenir à la parfaite appréhension d’un tout.
Brichaux poursuit : « A contrario, l’objet ou la situation complexes ne se laissent pas réduire en segments susceptibles d’être étudiés séparément. (…) Vouloir isoler de ce tout une partie, c’est à coup sûr détruire l’économie générale de l’objet ou de la situation. »
Hum… Complexe, en effet.
L’« expertise métier » : communiquer un savoir complexe
Le défi, en termes de communication, pourrait alors consister à approcher un équilibre entre scientificité et clarté.
Plus facile à dire qu’à faire, nous direz-vous ! D’autant plus que le statu quo actuel tend à promouvoir deux tendances relativement limitatives, à savoir : un excès de technicité d’un côté, et un excès de simplification de l’autre.
C’est ainsi, à titre d’exemple, qu’une école d’ingénieurs prestigieuse telle que Télécom Paris déploie un site Internet comprenant près de 400 pages expertes (voire ultra-expertes), dans l’idée de communiquer avec ses candidats et autres partenaires-recruteurs. À l’exact opposé, une grande majorité de start-ups lancées à vive allure sur le marché de l’innovation optent pour une approche frontalement marketing quadrillée d’accroches de type publicitaire, mêlant anglicismes et termes techniques peu explicités, dans le but de cultiver un esprit de communauté et de jouer la proximité avec leurs cibles.
Mais peut-on réellement compter sur de telles approches pour dénouer la complexité de l’expertise métier, et en assurer la communicabilité ?
Constituée d’un ensemble de règles et de compétences, d’un savoir-faire propre et complexe, l’expertise est le fruit d’une expérience personnelle riche et avérée – celle de l’expert qui la détient – et est souvent liée à un domaine stratégique pour l’entreprise… Ainsi, sa transmission est délicate et sensible par essence.
Comme l’explique Mathieu Maurice, directeur général du CEPIG (Conseil RH, Formation, Assessment, Coaching) et philosophe de formation : « La nature même de leur mission porte les experts à la profondeur plutôt qu’à la superficialité. À l’analyse exhaustive et à la recherche de solutions de fond plutôt qu’au culte de l’image… Inutile donc de se lancer dans une démarche destinée à optimiser la valeur ajoutée des experts si l’on n’a pas une vision complète des enjeux de l’expertise au sein de son entreprise et si l’on est prêt qu’à des actions de surface. »
Nous ne pourrions être plus en accord : une expertise ne saurait se définir et se communiquer de façon simple, sans une méthode à la hauteur de ses enjeux. C’est notre conviction.
Métiers complexes et communication : une question de méthode
Alors, à quoi pourrait ressembler une « mécanique » de communication applicable à l’expertise des métiers complexes ? Loin de pouvoir épuiser ici cette question, nous nous proposons néanmoins de décrire ce qui en constitue, à nos yeux, les principaux rouages.
À métiers complexes, communication complexe !
Nous n’aurons de cesse de le proclamer et d’en faire le socle de notre méthode : le positionnement de marque est une étape incontournable dans l’élaboration des stratégies de communication !
Reposant sur un important travail de recherche, d’analyse et de synthèse, le positionnement de marque permet de parvenir à une connaissance fine d’un contexte métier (processus, savoir-faire et logiques de marché), afin de révéler ses logiques systémiques.
C’est ainsi, et seulement ainsi, qu’apparaissent les réelles lignes de forces communicationnelles des organisations porteuses d’expertises complexes !
À nos yeux, cette attention inaugurale mérite véritablement que l’on s’y attarde, tant elle contribue à la compréhension et à la restitution de la valeur de marque au sein des stratégies, des discours et des actions de communication qui en découlent. Pourtant, force est de constater que son utilité n’est généralement pas comprise par des organisations qui, prises dans leurs urgences et leurs considérations budgétaires, ne s’attachent qu’aux aspects opérationnels de leur communication.
Une bonne dose de compétences techniques…
Arlette Bouzon, professeur de sciences de l’information et de la communication, souligne à juste titre : « L’expertise n’est pas une ressource banale qui peut s’acheter ou se vendre comme n’importe quel bien, et nécessite d’être traduite dans un langage accessible à ses utilisateurs potentiels » .
La « traduction » (plutôt que « vulgarisation ») de l’expertise dans une fin communicationnelle est partie intégrante du savoir du communicant. Elle requiert d’interroger les choix des messages à communiquer, tout autant que les conditions matérielles de leur diffusion ; et repose sur un important travail de composition et d’argumentation fondé sur une parfaite maîtrise de la langue.
En effet, produit-on plutôt un livre blanc, une communication orale ou écrite, une publication académique, un règlement, un article de presse, ou encore un diaporama ou une data-visualisation ? En lui appliquant quel ton particulier et quelle stratégie de diffusion ?
On pourrait parler ici du travail du communiquant comme du passage d’une information « brute » à une communication stratégique, et donc d’un véritable processus de transformation / raffinage. Un cheminement intellectuel qui doit être conduit avec éthique pour servir durablement les enjeux de communication de son commanditaire.
… Et de solides compétences humaines
Empathie, curiosité, volonté de comprendre, capacité d’analyse, qualités d’expression, aptitudes au dialogue, à l’ouverture… et sûrement une certaine dévotion ! Ces qualités humaines sont au fondement de l’expertise des bons communicants, et nous paraissent plus indispensables encore dans le contexte spécifique du décryptage et de la restitution des métiers complexes.
À nos yeux, elles précèdent même l’ensemble des compétences techniques brièvement décrites ci-dessus, tant la communication est avant tout une expérience humaine.
Il en va de même d’une certaine forme de créativité et de sensibilité esthétique qui, alliée à un souci de sens et de cohérence, permet de projeter des idées et des mots au sein de structures visuelles adaptées (les fameuses « interfaces », si chères aux acteurs contemporains de l’économie du web).
Ainsi, en communication, l’humain est un véritable actif social permettant de cultiver l’être plutôt que l’avoir, dans un mouvement de désaxement aujourd’hui nécessaire à la viabilité des entreprises. Un soft power, en somme !
Conclusion
La communication des métiers complexes : une expertise !
À la lumière de notre réflexion, nous espérons vous avoir convaincus qu’il est aujourd’hui absolument nécessaire de développer une politique de « valorisation de l’expertise » en communication, qui soit fondée sur une méthode experte et complexe, comprise et acceptée comme telle !
Or la transmission des savoirs et des savoir-faire nous semble encore très insuffisamment favorisée et valorisée au sein des organisations, comme de la société dans son ensemble (laissant nombre d’experts sur le carreau, insatisfaits et frustrés).
Voir et admettre à quel point la saturation de l’espace médiatique forge nos perceptions et notre compréhension du monde est désormais une responsabilité collective.
Car, tout à côté de l’information médiatique, c’est bel et bien la communication des organisations qui « met en musique » et nous donne à comprendre la complexité de nos existences. C’est pourquoi, chez Hartpon, nous défendons l’idée d’une véritable « épaisseur communicationnelle », chère aux chercheurs en sciences de l’information et de la communication.
Nous finirons ici en soulignant qu’un bon logo, un bon slogan, de bons supports de communication… sont des outils devant être pensés dans un souci de pérennité. Or la méconnaissance des enjeux décrits ci-dessus conduit trop souvent les organisations à renoncer à l’investissement qu’implique une telle démarche, quitte à tomber dans les travers de communications de marque superficielles et périssables.
Un choix qui les prive tout bonnement des leviers, commercial et financier, qu’une bonne communication pourrait représenter pour elles… et pour la société.
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