La communication, ou l’utopie en action ?

Mentorat  : Pierre Rabhi

Sans succomber à la formule ni verser dans la pensée magique, nous pensons que l’époque actuelle, qui navigue entre indignation et résignation, nous donne matière à questionner les véritables moteurs du CHANGEMENT.

Et la communication, dans tout ça ?!

Cela ne vous aura pas échappé : la crise sanitaire que nous traversons actuellement a, dès ses prémisses, fait émerger la perspective d’un « monde d’après » – formule tellement dévoyée 18 mois plus tard qu’on ne sait déjà plus très bien ce qu’elle convoque en réalité, de promesses ou d’espoir, mais à laquelle on reconnaît sans mal le génie médiatique.

La question n’est peut-être pas tant de savoir si la situation inédite liée à la pandémie de Covid-19 permettra de faire émerger un nouveau modèle de société – censément plus écologique, plus équitable et plus responsable. Question insoluble… Il nous semble néanmoins que l’expérience que nous vivons actuellement nous offre une opportunité d’interroger les dynamiques de changement réellement à l’œuvre dans notre société.

C’est pourquoi nous avons souhaité ce mois-ci nous attarder sur une « tendance » qui nous questionne depuis plusieurs années déjà, une dynamique particulièrement riche prise sous l’angle de la communication, à savoir l’émergence et le développement des « tiers-lieux » – ces espaces hydrides s’érigeant en périphérie des villes sur les vestiges d’anciens bâtis industriels, s’élevant sur le triptyque Travail-Création-Proximité et reposant sur la mise en commun d’espaces et de moyens.

Pionnier de l’agroécologie et penseur estimé, Pierre Rabhi nous invite à y regarder de plus près ! Car, dit-il, « C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain ».
En nous excusant de la généralisation mais en l’assumant au titre de la démonstration, nous avons en effet dans l’idée que les tiers-lieux constituent l’une des incarnations tangibles des utopies contemporaines. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Cela fait une vingtaine d’années que l’on voit se démultiplier ces espaces d’un nouveau genre – pas seulement en région parisienne mais à travers toute la France. Et on les « entend » également, il est vrai, exprimer haut et fort leurs aspirations (voire leurs revendications) à un renouvellement des modes du « faire », à l’échelle des individus, des quartiers… et de la société.

Le sujet nous semble porteur sur le volet de la communication !
En s’appuyant sur des MESSAGES à la fois INSPIRANTS et PERFORMATIFS, ces tiers-lieux ouvrent des pistes de communication VERTUEUSES et FÉDÉRATRICES qui, pour autant qu’elles soient sincères, sont autant de leviers puissants pour l’ACTION.

Une ressource précieuse à observer d’un peu plus près, donc, à l’heure où la Responsabilité sociale des Entreprises (RSE) engendre un déluge de communications dites « positives » mais pas toujours pragmatiques ou pratiques. Suivez-nous, on vous fait faire le tour du propriétaire !

Tiers-lieux, qui êtes-vous ?

Véritable phénomène de société, le concept de « tiers-lieu » fait l’objet d’un incontestable engouement : des zones rurales isolées aux mégapoles sur-équipées, des sites industriels aux éco-quartiers, tout le monde veut son tiers-lieu ! En 2018, ils étaient au nombre de 1800 répartis sur tout le territoire français, selon un recensement du Ministère des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Issus d’initiatives publiques comme privées, les tiers-lieux incarnent un modèle d’organisation à la croisée des chemins, entre recherche d’un « idéal citoyen » et actions concrètes.
Souvent synonymes de reconversion de friches industrielles ou d’espaces à l’abandon, ils ont pour mission de développer le « faire ensemble » et de « renouer des liens », parfois au sein de communautés mises à mal par un étiolement du tissu urbain, humain, économique.

La Quincaillerie, installée dans une friche commerciale au centre-ville de Guéret (23), sensibilise aux usages du numérique, alors que La Cité Fertile, qui occupe un hectare dans des anciens entrepôts de la SNCF à Pantin (93), concentre ses actions sur la transition écologique dans les zones urbaines. La Nouvelle Mine, implantée au cœur de l’ancien bassin minier de Provence (13), s’est spécialisée quant à elle dans la revalorisation des déchets par le design.

En ces lieux, nulle volonté de faire advenir « un homme idéal dans une société parfaite », mais une vraie détermination à ouvrir les portes du possible en s’appuyant sur des expériences concrètes et une organisation horizontale. Une transformation par l’action, donc – avec parfois un léger penchant pour l’indignation (voire la révolution…) – offrant une relecture dynamisante du classique « on n’est jamais mieux servi que par soi-même », tourné à la sauce collaborative et à portée sociétale.

Dans un esprit concordant, la communication y est synonyme de bon sens et de convictions fortes. Elle porte des valeurs qui font parler d’elles depuis une quarantaine d’années, mais dont la portée ne connait que depuis récemment une croissance exponentielle, au sein d’une société et auprès de citoyens en pleine « quête de sens » : collectif, écologie, solidarité, sobriété, vivre ensemble, localité, échange de compétences, gratuité… Pas de doute, tout ça vous dit quelque chose !

Mais quels sont donc plus précisément ces messages à forte valeur ajoutée que tout le monde s’arrache ?

Pour une communication à « valeur sociétale »

Message 1 : « Éveillons nos consciences ! »

Inscrite en lettres noires sur une banderole blanche à l’entrée du LEØ (Laboratoire Écologique ØDéchets), une devise implacable interpelle dès leur arrivée tous les visiteurs franchissant le seuil des entrepôts abandonnés dans lesquels l’association s’est installée depuis deux ans : « Tout ce qui ne sera pas défendu sera perdu ».

Située à Pantin, dans la banlieue Est de Paris, ses initiateurs et porteurs se sont fixés comme objectif en son sein de « proposer des actions et de réfléchir à une écologie participative, simple, joyeuse et surtout accessible à tous ».

Ici, pas de grands discours mais du bon sens et une approche pragmatique qui vise à éveiller les consciences et guider les actions.
La communication du LEØ est directe, informationnelle, pragmatique – à l’instar des actions menées. Elle n’impose pas l’adoption d’une vision mais pousse chacun à questionner ses propres opinions à travers un discours de preuves qui met en avant le résultat d’actions déployées localement.

Au militantisme dogmatique des partis politiques, elle oppose une réflexion chorale et un engagement collectif à même de nous rapprocher d’un « ce que nous voulons être » plutôt que d’un « ce que nous devons être ».
Il ne s’agit plus alors simplement d’informer, mais aussi de contribuer à la conscientisation des publics, de créer les conditions de la réflexion en suggérant des solutions et des alternatives, afin de transformer, d’améliorer, de faire évoluer concrètement une situation initiale.

Exploitée dans une telle perspective, la communication devient un outil de l’émancipation individuelle. Elle en appelle à la conscience, « ce lieu intime où chaque être humain peut en toute liberté prendre la mesure de sa responsabilité à l’égard de la vie », pour reprendre les termes poétiques de Pierre Rabhi.

Message 2 : « Réinventons le collectif ! »

La Base est le QG des organisations éco-citoyennes à Paris. Le lieu, qui accueille de nombreuses associations et initiatives engagées (telles que Fair(e), Action Climat Paris, Nature Rights, 350.org…), compte parmi ses co-fondateurs le célèbre mouvement militant pour le climat Alternatiba, qui semble donner le ton : « Ensemble, nous sommes une force immense ! ».

Installé en plein cœur de la capitale, dans le 10e arrondissement, ce tiers-lieu a mis en place une véritable « pépinière de compétences » afin de promouvoir la mobilisation citoyenne en faveur de la protection du climat et de la justice sociale.
Des espaces de travail partagés aux workshops dispensant les fondamentaux de la désobéissance civile, du bar associatif aux ateliers de fabrication de banderoles militantes, on retrouve dans le modèle d’organisation de La Base tous les soubassements aujourd’hui intégrés à la logique des start-ups : expertise, innovation, agilité, collaboration ! Mais, à l’opposé de toute spéculation financière, ce sont ici les « moyens de la révolte » que l’on s’attache à déployer, via la transmission de savoir-faire résolument professionnels.

La rencontre et les collaborations sont ainsi à la base de la dynamique des tiers-lieux ! On y parle co-working, co-conception, co-production, co-factory, co-living… L’« ère du co » incarne une nouvelle approche du « nous » qui valorise les engagements individuels tout en promouvant une dynamique de compétences collectives.

À l’heure où la notion de « communauté » a le vent en poupe (au risque d’une segmentation uniformisante via le marketing des « cibles » et des réseaux sociaux), la communication des tiers-lieux oppose un travail approfondi de redéfinition du « collectif », pensé dans sa diversité et en faveur de la mise en commun – d’espaces, de compétences, de savoirs et d’idées.

Exploitée dans une telle perspective, la communication devient un outil pour « signifier » le collectif, pour lui donner une forme et une direction. « Chacun doit faire sa part », résume humblement Pierre Rabhi. En effet, il ne s’agit plus simplement de « cibler » mais d’impliquer chaque individu afin de constituer le ciment du groupe : soit la « co-responsabilité » et la « co-construction » comme prérogatives indispensables au fondement d’une société responsable.

Message 3 : « Vive la sobriété ! »

« Rien ne se perd, tout se récupère » – tel pourrait être le mantra des tenants de l’économie circulaire, à la base du modèle économique et social des bien-nommées “ressourceries” / “recycleries”.
Implantées désormais sur tout le territoire, ces dernières sont des tiers-lieux d’un genre particulier, ayant pour vocation de créer une synergie citoyenne en faveur de la professionnalisation, de la formation et du réemploi solidaire, mais aussi de la sensibilisation à l’environnement via la réduction des déchets.

C’est le cas du Work In Progress (WIP), tiers-lieu issu du chantier de La grande Halle situé sur le plateau de Colombelle au nord-est de Caen, vestiges de la gigantesque Société Métallurgique de Normandie (SMN), et dont a découlé l’actuel « Plateau circulaire ». Ce dernier, centré sur le réemploi des matériaux pour la construction, s’attache à fournir des opportunités d’embauches à l’échelle régionale, dans le cadre de parcours de retour à l’emploi.

Loin de la caricature du dessein alternatif faisant l’apologie de la décroissance, le WIP (comme beaucoup d’autres tiers-lieux) exploite plutôt l’idée d’une autre croissance – une forme de « re-croissance » à travers le « re-cyclage », le « re-emploi » ou encore la « re-génération » ! « Vivre mieux et non moins bien, de manière plus sobre, plus durable, plus respectueuse, plus heureuse aussi, c’est une forme de libération », explique encore Pierre Rabhi, adepte du concept de sobriété heureuse.

Lorsqu’elle s’engage dans une telle perspective, la communication permet d’incarner cette posture de modestie et de responsabilité : à l’organisation proactive et sincère de délivrer des messages réellement utiles et porteurs de sens (grâce notamment à un positionnement et à une identité bien maîtrisés), de produire des contenus pérennes faisant référence (comme nous tentons de nous y employer dans notre newsletter 😍), et de privilégier des formats peu gourmands en énergie (à l’instar des articles, images en basse résolution et podcasts, par exemple, contrairement à la vidéo).
Voire pourquoi pas, comme le suggère malicieusement Pierre Rabhi (mais peu s’y risqueront) : « Faire de temps en temps une bonne diète de l’information, comme un jeûne purificateur » !

Conclusion

La communication, moteur des utopies !

Pour le moins éloquente, la leçon des tiers-lieux est on ne peut plus claire : le changement ne viendra pas de rêves ou de promesses indues, mais surgira de l’intelligence collective passée aux actes !
Ainsi, il est désormais attendu des marques et des entreprises qu’elles s’engagent et proposent des solutions concrètes aux grands enjeux contemporains ; qu’elles génèrent, au-delà de leur propre influence et d’un rendement économique, une croissance à impact positif pour les êtres humains, pour l’environnement et pour la société.

Utilisée à bon escient, la communication a donc bel et bien le pouvoir de transformer chaque décision en un geste politique – celle de l’individu, du citoyen et du consommateur.
La société Danone l’a bien compris, elle dont le discours nous éveille, nous fédère – et nous engage tel qu’il l’engage en retour : « En choisissant notre alimentation, nous votons pour le monde dans lequel nous souhaitons vivre ». Car en tout acte d’achat se cache bien une prise de position concrète au nom du « collectif humain ». C’est ainsi que la célèbre enseigne de l’agroalimentaire français fait de sa communication un puissant levier d’action sociétale.

Lorsqu’elle organise l’échange d’informations qualitatives, c’est-à-dire utiles et à même de porter la diversité des points de vue, la communication contribue à l’émergence de projets et de marques responsables, érudits et compétents, capables d’agir, de fédérer, et de contribuer réellement au ré-enchantement du monde.

C’est ainsi que la communication se révèle un maillon essentiel de la mise en œuvre de l’intelligence collective - véritable moteur des utopies ! – au service d’une société plus équitable, plus responsable… En un mot, plus sincèrement tournée vers la construction d’un « advenir » commun.

Si vous voulez réagir et discuter de tout ça avec nous, écrivez-nous !
(on a le droit de rêver 😊)
 : studio@hartpon.info

À bientôt !

Caroline Perreau & Catherine Mairet
Studio Hartpon

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